Une illustration à partir du superbe texte écrit par Pierre-Jean Baranger
« Jamais son existence ou l’enseignement reçu n’aurait pu répondre à ce qui se passa dans sa vie cette année-là. En décidant de prendre des leçons de violoncelle afin de parfaire son jeu, elle était loin d’imaginer où ces heures l’emmèneraient.
Ce fut si rapide !
Il se levait, tournait autour d’elle comme pour délimiter le cercle sacré d’où sa musique s’élevait. Puis il s’approchait, Il repositionnait l’instrument entre les jambes de son élève, effleurait d’une main légère le coude du bras maniant l’archet, la main dans sa tenue. Elle, concentrée sur sa partition, acceptait ce contact étrange et nouveau.
– Ton mouvement ! N’oublie pas que tu n’es qu’une avec ton violoncelle ! Vous faites l’amour et de votre étreinte naît votre interprétation ! Le résultat pour celui qui ose entendre et surtout écouter, doit offrir toute la sensualité de votre alliance, à ton instrument et à toi ! Ne brise pas son corps lorsque tu le serres entre tes jambes, laisse-le pleurer de joie ou de tristesse à la manière d’un amant éploré ! C’est ton bras, ce sont tes mains qui le guident ! Il vibre par la caresse de ton archet ! Joue, tel un ange !
Elle rougissait à peine. Mais elle sentait bien que ses barrières les plus intimes devraient un jour se lever pour atteindre le degré de jeu qu’elle et lui espéraient.
Elle en vint à attendre les leçons avec impatience et ardeur. Elle était troublée, comme si elle échappait à sa condition, à sa famille, à la société, au jugement qu’elle redoutait. Un jour enfin, elle s’offrit pleinement à son violoncelle. Bach s’y prêtait si bien ! Elle termina le morceau le souffle court, les joues rouges et légèrement échevelée, presque confuse et étrangère à elle-même. Transcendée.
A l’absence de paroles de la part du professeur, elle ne répondit qu’un seul mot : Merci. »