Texte de Pierre-Jean Baranger
« Le volet en bas claqua avec violence, la faisant sursauter. Irina comprit qu’elle devrait encore affronter ses peurs, ce soir ! Le vent poussait devant lui des nuages lourds qu’elle voyait monter à l’assaut du versant comme des taureaux furieux. Irina avait peur de ces orages résonnant l’été sur les plateaux de roche blanche, laissant vibrer les carreaux et résonner l’espace, tel un gong d’airain.
Déjà deux ans ! Deux années pleines de vide, qu’elle meublait de ses heures. Deux années à l’attendre, chaque jour. Il partait tôt et revenait tard, épuisé, porté par son travail sur des routes étroites, avant de rejoindre Mende. La Lozère avait son charme, mais une certaine âpreté ne lui faisait pas défaut.
Soudain, quelqu’un frappa. Elle sursauta à nouveau. Qui pouvait venir ici ? S’égarer là ou nul chemin ne menait ? Elle descendit de la chambre, traversa la grande pièce servant de cuisine et de salle à manger. Au passage, elle jeta un œil à la cheminée où le courant d’air mugissait sourdement désormais. Elle ouvrit avec prudence la porte, résistant à l’assaut du vent et de la pluie. Une ombre s’engouffra devant elle, sans se soucier des présentations. Le temps viendrait. Plus tard. L’éclair frappa le plateau non loin, illuminant brièvement les visages. Avant de prononcer un mot, ils attendirent la déflagration sèche, déchirant l’air comme une feuille de papier journal.
L’inconnu retira la capuche de son ciré. L’inconnue plutôt. Un visage d’ange, encadré de cheveux blonds collés par la pluie. La beauté d’une divinité apparue au coin d’un mystère. Irina offrit son plus beau sourire.
– Vous venez d’où ? Osa-t-elle.
L’inconnue montra le ciel du doigt.
– vous êtes descendue des nuages ?
Irina regretta aussitôt sa spontanéité.
– Non. Je parcours la montagne à la recherche de mon passé. Et si je suis devant vous, c’est que vous habitez la maison de ma mère….
Irina resta pétrifiée ! Une inconnue débarquait en plein orage pour lui parler d’héritage ! Devant son attitude, l’inconnue se hâta d’ajouter quelques mots.
– Je ne viens pas la reprendre, mais vous remercier.
– de quoi ?
– d’être capable d’aimer cet endroit… Ce n’est pas si évident, vous savez !
Irina lui proposa de s’asseoir, de boire quelque chose. L’autre femme accepta.
– Je crois que l’amour nous dépasse. Il nous dépasse tous !
Pourquoi avait-elle dit cela ? Irina n’en savait rien.
L’inconnue sourit, but un peu d’eau. Dehors, le noir se déchirait sous les éclats blancs.
– Vous avez raison. Mais ce que vous dites ici, est-ce ce lieu qui vous l’a murmuré sans cesse depuis que vous l’occupez ?
Ce que Irina ne savait pas encore, c’est que le destin voyage parfois incognito, même au cœur des orages les plus violents…Elle ne tarderait pas à l’apprendre. »